Quand parle-t-on de Musicologique ?

La musicologie est un domaine d’étude extrêmement vaste et, en quelque sorte, requiert une certaine polyvalence par la multiplicité des disciplines transversales requises. De manière générale, et c’est là où convergent toutes les sources qui définissent la musicologie ; on parle de musicologie lorsque l’on étudie les phénomènes musicaux. Il est alors naturel que tout ce qui se rapporte à la musique puisse être analysé avec un but musicologique. On y étudiera alors les objets suivants : la musique, bien entendu, mais aussi tous les phénomènes proprement musicaux gravitant et influençant l’œuvre musicale étudiée : contexte socioculturel et historique ; pour les plus étudiés, mais aussi ce qui semble être des épiphénomènes comme l’humeur du compositeur -si l’on a accès à de telles données-. Ainsi, il est possible d’étudier, pour une même œuvre, tous les paramètres qui rentrent en compte dans la composition : l’importance d’un instrument, influence d’une ville sur la créativité, la position personnelle du compositeur sur une règle d’harmonie, empathie vis-à-vis d’un événement contemporain ou passé, etc. Il n’existe alors aucune bonne ou mauvaise analyse musicologique, puisque chacun des paramètres apporte un angle d’attaque qui lui est propre.

Les musicologues doivent alors développer ou étendre leurs champs d’études, non plus restreint à la musique, mais aussi à l’ethnologie (ce qui donne l’ethnomusicologie, par exemple), la psychologie, la sociologie, etc. Le musicologue étudie alors en plus de l’œuvre elle-même ; à travers des paramètres comme l’orchestration, l’instrumentation, l’analyse harmonique… ; des données traitables en sociologie (rapport avec ses contemporains), la psychologie (état mental du compositeur sur la période de composition)… Grâce à ces études aux domaines croisés, on a pu alors établir ce qui aujourd’hui caractérise le style de chaque compositeur dûment étudié. Par exemple, le trille cadentielle de Mozart (fig. 1) ou l’harmonisation à quatre voix de Bach (fig. 2)

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Figure 1 : Un trille cadentielle chez Mozart
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Figure 2 : Composition à 4 voix chez Bach

De nos jours, avec des compositeurs contemporains, notamment en musique de film -dont un des paramètres extra musicaux par ailleurs est son rythme lié au montage, donc à une autre discipline que la musique- comme John Williams (1932 -), il est facile, surtout pour une oreille entraînée de reconnaître un style très percussif et cuivré. C’est notamment le cas dans sa période fin 70, durant laquelle il composait en simultané les musiques des sagas Indiana Jones (1981- 1989) et Star Wars (1977-1983). On y retrouve des cellules quasi identiques si ce n’est s’influençant mutuellement.
Aussi, le morceau The Map Room d’Indiana Jones et les aventuriers de l’arche perdue ( 1981) ressemble beaucoup au passage à 1 minute 47 sur le morceau The Land of the Sand People de Star Wars : À New Hope ( 1977). On obtient le même effet avec ces deux morceaux : Indy Rides the Statue (1981) et Into The Trap (Star Wars VI : le retour du Jedi, 1983). L’es exemples ici sont flagrant (même compositeur, dates se chevauchant), ils ne demandent pas une recherche musicologique très approfondie. En revanche, lors de la sortie de Rogue-One : A Star Wars Story (2016), premier film de la franchise Star Wars dont les musiques ne sont pas composées par Williams, mais par Michael Giacchino (1967 – ; Super 8 (2011), Star Trek Into Darkness (2013), Jurassik World (2015), Zootopie (2016)…), Giacchino a essuyé plusieurs critiques, certains internautes trouvant son style en contradiction avec celui de Williams. Afin de répondre à ces critiques, une analyse musicologique approfondie est requise. Celle-ci permettra de savoir si les styles sont similaires ou réellement contradictoires. Le chercheur se posera alors les questions musicologiques habituelles : l’analyse musicale dans son ensemble, et devra aussi enquêter sur d’éventuelles interactions entre les deux compositeurs.

La ludomusicologie

Lorsque l’on s’intéresse à la musique de jeux vidéos, on ne fait pas qu’étudier la musique. Comme pour la musique de film, sortir la musique de son média n’a aucun intérêt. Bien qu’aujourd’hui, écouter de la musique de film hors contexte soit ancré dans les mœurs, il ne faut jamais perdre de vue que cette musique a été composée pour un film dont elle devient indissociable. Il deviendrait ardu d’analyser une musique de film sans son support visuel, partie intégrante de son nom : le film.

En effet, elle possède des caractéristiques et des codes propres à ce support : le montage du film est un paramètre important à prendre en compte, à tel point que parfois, selon le mode opératoire de composition, le montage influence grandement la musique en contraignant le compositeur, si celui-ci doit composer la musique une fois le film monté (ou l’adapter au montage si la musique a été au préalablement composée) ; à insérer des carrures rythmiques particulières afin de garde sa synchronisation avec le rythme des images. En figure 3, le pupitre de cuivres du morceau Prologue : One Ring To Rule Them All tiré du film Le Seigneur des Anneaux : la communauté de l’anneau ( Howard Shore, 2001). On remarque les changements de métrique ainsi que les changements de tempo très fréquents.

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Figure 3 : Pupitre de cuivres sur l’introduction du Prologue : One Ring to Rule Them All

Certains de ces changements de carrure peuvent être des effets de style. On pense à un changement de métrique binaire/ternaire (44 vers 98 ). Ce genre de changement a un but plus musical que technique : Main Title (Danny Elfman, Spider-Man 2, 2004 ) où l’on passe d’un 34 à un 44 alors qu’à l’image, rien ne justifie ce changement. De la même manière, les mesures en 24 dans Ce monde qui est le miens  (Alan Menken, Hercules, 1997), initialement en 44 peuvent s’interpréter comme des ritardando plutôt que des mesures à 2 temps.

Il en est de même en ludomusicologie, qui est une sous branche des game studies, qui s’intéresse à la musicologie appliquée aux jeux vidéo. Il est impensable d’analyser cette musique sans prendre en considération tous les paramètres vidéoludiques qui influencent inévitablement la composition et/ou l’exécution de la musique. À l’inverse du cinéma, le montage n’est plus un paramètre à prendre en compte, puisque le propre du jeu vidéo est d’avoir une musique qui n’est pas toujours pensée pour être synchronisée avec l’image, à l’exception des FMV, héritage direct et complet du cinéma, et de quelques séquences où le gameplay est effacé pour contraindre une synchronisation image et son (Séquence dans l’Hydre, FFVIII, Eyes On Me).

D’autres paramètres peuvent être pris en compte, notamment le gameplay, dont il n’est pas sujet ici puisque le corpus étudié ne propose pas une interaction musique-gameplay. Cela sera le cas dans deux jeux comme Rez (2001, SEGA) dont le gameplay a été pensé pour la musique ou Remember Me (2013, Capcom), dans lequel notre style de jeu façonne la musique. Ces musiques font l’objet d’études dans le domaine des musiques interactives, ce qui n’est pas notre domaine ici, les musiques de Final Fantasy étant tout sauf interactives. En revanche, on pourra se poser la question d’intégrer une réelle interactivité dans des J-RPG.

Quoi qu’il en soit, la ludomusicologie comme étude de la musique de jeu vidéo a été explorée par les Anglophones, principalement, à partir des années 1990 et est aujourd’hui en plein essor, en témoigne le nombre de publications toujours plus important depuis quelques années (Karen Collins, Winifred Philipps). En revanche, en consultant ces études, on constate que la musique est traitée dans sa globalité plutôt que comme élément particulier du jeu vidéo. De surcroît, ces ouvrages balayent l’aspect historique et technologique sans, à proprement parler, s’arrêter sur l’aspect musical de ce qui est entendu. Rares sont les partitions à y apparaître, et lorsqu’elles sont présentes, sont affichées comme illustration du propos, mais ne sont pas analysées de façon musicologique.

Nous pouvons alors nous poser les questions suivantes :

    • Est-il réellement pertinent de faire une analyse musicologique des VGM ?
    • Ces ouvrages ont-ils une portée musicologique ?
    • Ont-ils pour but d’expliquer les mécanismes musicaux ou de retracer l’histoire, technologique, de la VGM ?

Pour ma part, ces ouvrages répondent à une problématique musicologique en ne prenant en compte que l’histoire et notamment les raisons qui ont poussé tel ou tel éditeur (SEGA, Nintendo, Sony…) à se focaliser sur une technologique plutôt qu’une autre. Du côté de l’analyse musicale, des recherches effectuées et des documents trouvés, le constat penche pour un manque d’études. En France, le document se rapprochant le plus de ce que j’attends d’une étude musicologique est le mémoire de master de Fanny Rebillard (La structure des bandes-son de jeux vidéo et leur rôle dans l’immersion du joueur, points communs et différences avec les bandes-son de films, l’exemple de The Legend Of Zelda : Ocarina of Time ; 2013). Comme je lui ai précisé (bien qu’elle n’ait apparemment pas apprécié cette remarque), elle a eu l’idée de traiter d’un sujet « nouveau », ce qui fait avancer la ludomusicologie française, malgré, selon mes critères, quelques faiblesses. Quoi qu’il en soit, le constat est faible, je n’ai pas trouvé d’autres écrits traitant avec autant d’implication de la musique dans les jeux vidéos et qui parlent musique ; mais peut-être mes critères sont-ils aussi mal calibrés que ma compréhension de la ludomusicologie. Après tout, Georges Grouard me l’a si bien conseillé : « On écrit avant tout pour soi, il ne faut pas s’excuser d’être là ».

L’exercice ludomusicologique constitue une épreuve dans le sens où Galloway (cité dans Collins, Game Sound, p180) explique que le jeu vidéo est une interaction entre un « opérateur » (le joueur) et la « machine » (le jeu). Ces interactions, outre le fait qu’elles font évoluer l’expérience de jeu, ont un effet sur la musique : chez les Final Fantasy, le passage d’un tableau à l’autre peut faire changer la musique, tout comme le passage d’un plateau à un écran de combat. Cet effet opérateur/machine peut modifier l’expérience à un tel point que d’une expérience à l’autre (d’un joueur ou d’une partie différent(e)), l’effet de la musique peut être ressenti par le joueur comme radicalement différent. Ces propos sont une réponse partielle à la question posée supra « Est-il réellement pertinent de faire une analyse musicologique de la VGM ? » puisque la façon d’analyser la musique dépendra de l’expérience de jeu de l’analyste, et est donc relative à chaque joueur, là où une musique de film est indissociable de son film par la synchronisation image/son qui n’existe pas dans le jeu vidéo. Ces propos justifient aussi ma vision de tous les ouvrages sur les jeux vidéo que j’ai pu consulter, surtout ceux sur la ludomusicologie ; et expliquent pourquoi je ne me suis pas entièrement retrouvé dans certains textes: nous avons eu des expériences de jeu différentes, donc une vision ou un axe d’analyse et d’intérêt différents, etc.

De fait, avec toutes ces informations, il devient clair que l’analyse musicologique ne peut pas être universelle, puisque le ressentit émotionnel de la musique couplée avec l’interaction personnelle qu’a un joueur avec un jeu, sont deux paramètres subjectifs, qui, collés entre eux ; font de la ludomusicologie un sujet tout aussi subjectif. Ce qui devient intéressant en revanche, c’est de croiser toutes les analyses que l’on peut trouver. Du très intéressant «La narrativité musicale dans Final Fantasy VII » (Fabrice Foison, 2013) au relativement intéressant « The Narrative Role of Music in Role-Playing Games : Final Fantasy VII » (Christopher Chong, Bachelor Degree, non daté, mais visiblement vers 2007), certaines approches sont originales. Foison trouve une façon similaire à la mienne de classer les musiques des jeux (musique de lieu, de personnage, de situation…), Chong voit lui une utilité méta aux musiques (« Temporal Shifting » ; « Personifying Pixels ») et tous deux utilisent des partitions (ouf!), mais aucun ne parle réellement de la composition, de la façon dont sont agencés les accords pour donner l’impression de situer un lieu, une situation ; en d’autres mots : comment ça marche ? Mais surtout, pourquoi ça marche ?

Un commentaire sur « Musicologie et Ludomusicologie : Aspects et définitions »

  1. Je viens, non sans surprise, de découvrir cet article, et je suis extrêmement content de trouver un autre pair qui s’intéresse au questions Ludomusicologique ! Etant moi même (très) jeune chercheur dans le domaine, j’amenderais à savoir qu’il existe d’autres personnes ayant eu le même chemin de réflexion que moins ! Il me semble important de précisé que la musicologie française n’as pas les mêmes ambitions que la musicologie anglophone, dont est issus la majorité des auteurs de ludomusicologie. L’étude de la musique en temps que tel est qualifié de « Music Theory », est diffère donc de la « Musicology », qui va plus prendre en compte les facteurs sociaux-culturel, voir théorique. Afin d’appuyer votre point de vue concernant l’impact personnel, je ne peux que vous conseillez « Understanding Video Game Music » de Tim Summers, qui souligne un point très intéressant concernant l’analyste du jeux vidéo, et qui vas prenne de prendre en compte l’expérience du jeu vidéo, car elle est unique à chacun. J’ai eu le sentiment, à ma première lecture de cet article, que vous nommez musicologie l’étude théorique de la musique ? J’aimerais bien avoir votre avis sur la question ! N’hésitez pas à me contacter afin d’en discuter plus amplement à l’adresse suivante : antoine.morisset@live.fr

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