Chères lectrices, chers lecteurs, bonjour.

A travers cet « avant-propos » un peu informel, je vais m’adresser à vous pour que vous sachiez ce qui vous attend dans cet ouvrage. C’est le résultat d’un travail qui a rythmé les huit dernières années de ma vie. Rome ne s’est pas construite en un jour, et cet ouvrage non plus. Je ressens la nécessité de vous prévenir du contenu réel de ce projet. C’est avant tout un projet d’analyse musicale, ce qui demande au lecteur plusieurs efforts, et d’autres à l’auteur. Concernant l’auteur, traiter d’un sujet aussi vaste et compliqué que la musique n’est pas une mince affaire. Je pense que personne ne pourra contredire que la musique, ça s’écoute avant tout. La partition est un outil imparfait qui permet de rendre état de la musique, mais ce n’est pas la musique. C’en est une traduction, un compte rendu écrit qui essaye tant bien que mal de transmettre le maximum d’informations aux musiciens et aux chefs d’orchestre, lorsque l’œuvre en impose l’utilisation ; afin qu’ils puissent jouer la musique.

Il existe deux types de partitions : les partitions originales, écrites par le compositeur que ce soit à la main ou grâce à un logiciel de gravure (c’est le terme) qui permettent de passer de l’écrit à l’audio ; et les partitions transcrites, c’est-à-dire une seconde traduction de l’audio vers l’écrit. La musique (que l’on entend) est la traduction de la partition, et la transcription est la traduction de l’audio en partition. Ce détail sur lequel je semble insister est extrêmement important. Ce processus de traduction à plusieurs niveaux dénature l’œuvre petit à petit. Comme lorsque l’on fait une série de calcul en arrondissant volontairement au centième près chaque résultat obtenu à chaque étape : le résultat final sera différent, mais très proche, du résultat juste. La transcription se fait à l’oreille et grâce à d’autres outils : un instrument de musique, souvent un piano, sa voix, etc. En d’autres termes, il s’agit de réécrire la musique telle qu’entendue. Mais la transcription ne sera jamais – ou dans de très rares cas lorsque la transcription est exceptionnelle – égale à la partition d’origine. Il manquera toujours quelques informations, ou d’autres seront en trop, sans pour autant dénaturer l’œuvre dans son essence.

Premier effort de l’auteur : les partitions qui figurent dans cet ouvrage sont naturellement des transcriptions que j’ai faites. Il y a une raison à cela : il n’existe aucune partition originale. Enfin, il doit bien en exister quelques-unes, mais comme un secret bien gardé, elles n’ont jamais été partagées, ça, j’en suis sûr. Si elles n’ont pas été perdues…. Il se peut donc que quelques différences, minimes je l’espère, existent entre ces comptes-rendus d’écoute et ce que l’on entend dans les jeux. Si tel est le cas, je m’en excuse. Personne n’est parfait. J’ai cependant pris le soin de vérifier, écouter encore et encore le résultat de ces transcriptions pour qu’elles soient au plus proche du matériau d’origine. Vous l’aurez compris, ce projet sera agrémenté ici et là de partitions qui serviront d’illustration à mes propos. On en reparle juste après. Second effort : certains morceaux du maestro Nobuo Uematsu utilisent des instruments inconnus, souvent des sons synthétiques, principalement à partir de l’épisode IX ; qui ne permettent pas d’écrire la musique correctement. Le timbre (le paramètre du son qui fait qu’une guitare est une guitare et une flûte une flûte) de ces sons ne peuvent être rapprochés de timbres d’instruments existants. C’est un problème, car si je ne sais pas quel instrument j’écoute, comment puis-je retranscrire son texte sur partition ? J’ai fait au mieux. Troisième effort : parler de musique à l’écrit est un exercice d’acrobate. C’est souvent le résultat d’une digestion intime de la musique, qui traverse notre corps, notre esprit, notre vécu et nos sentiments. Vous le savez tout autant que moi, mettre des mots sur ses sentiments est un exercice extrêmement compliqué, car nous il faut premièrement réussir à les comprendre, et nous ne sommes pas certains de nous faire comprendre par la personne qui les lira. Bien qu’étant une analyse musicale formelle, ce projet vous livrera aussi mon ressentit des œuvres. Et je me permets d’insister sur le côté subjectif de cette écriture : il vous permet d’apercevoir la musique de Nobuo Uematsu à travers mon prisme. Ce ne sera jamais une autorité, ni une finalité. Mon analyse n’est et ne sera pas meilleure, plus juste, que celle d’un autre, et ce ne sera jamais un terminus : il est toujours possible d’écrire encore plus sur cette musique. Le processus est infini. Et qui dit traduction de la musique, dit transformation de celle-ci. Sachez une chose : cet ouvrage contiendra énormément de partitions, mais vous n’aurez jamais « les partitions des Final Fantasy ». Car rien n’égalera les fichiers audios d’origine.

Concernant les efforts du lecteur : si vous souhaitez profiter des partitions pour comprendre de quoi il en retourne, il faut, à minima ; savoir un petit peu déchiffrer ou comprendre comment ce machin fonctionne. Rassurez-vous, pour les lecteurs qui n’ont jamais lu de musique de leur vie : ce ne sera pas indispensable pour comprendre ce projet, mais cela permet un second niveau de lecture. C’est donc un avantage. Vous pourrez trouver sur internet multitudes de sites, ou dans des bibliothèques multitude d’ouvrages, qui expliquent très bien comment la partition est pensée. Et j’en suis d’avance désolé, mais je ne pourrai pas plus vous aider à ce sujet. Cela ne tiendra qu’à vous de faire l’effort si vous en ressentez le besoin. J’aurai très bien pu ne pas mettre de partitions du tout, mais il me semble totalement inconcevable de parler de musique sans partitions. C’est un avis personnel et une position que j’assume et défend totalement. Cela reviendrait à parler d’un film ou d’une peinture sans image (ou sans voir l’œuvre), et force est de constater que les auteurs qui s’attaquent à ce genre d’analyse galèrent quand même un peu. Enfin, second effort corolaire du premier : je vais utiliser du jargon musicologique. Avant tout, lorsqu’il s’agit d’analyser une œuvre musicale on fait de la musicologie, c’est-à-dire littéralement : l’étude scientifique de la musique. L’analyse du langage musical est une branche de la musicologie. Les musicologues peuvent aussi étudier l’évolution des courants stylistiques, leur émergence et leur déclin, des compositeurs en particulier, comme c’est le cas ici ; ce qui fait qu’une œuvre est caractéristique d’un compositeur, et tout autre cuisine qui permet de mieux comprendre, finalement, ce qu’est la musique. Comme toute science, la musicologie a développé son propre jargon, empruntant parfois des termes à d’autres disciplines si les mécaniques d’études sont similaires. C’est un vrai foutoir. Et pour retranscrire l’étude analytique d’une œuvre, pas le choix que d’emprunter à ce jargon, sinon personne ne se comprend. Pensez au code de la route. La sémiotique des panneaux est pensée et codée pour être lisible de tous, et si un doute persiste, on vous apprend à lire ce langage lorsque vous passez votre code de la route, puis à le mettre en application lors des leçons de conduite. Un même langage, des mêmes codes, des mêmes signes, et tout le monde se comprend (en théorie…). C’est la même logique ici. J’utiliserai donc des gros mots empruntés à cette discipline à laquelle j’appartiens, la musicologie. Cela demande encore une fois au lecteur, pour comprendre ce langage exotique, d’être initié à l’art du solfège.  J’essayerai tant que faire se peut de détailler certains termes récurrents et accessibles, que vous pourrez trouver de façon très superficielle dans un lexique. En revanche, je suis de nouveau désolé pour cela, on ne peut pas s’en passer. Et cet ouvrage n’a pas pour but premier d’expliquer comment la musique fonctionne. Il existe d’autres ouvrages qui traitent de cela, et qui le feront toujours mieux que moi.

Ce projet ne sera pas non plus une histoire de la musique des Final Fantasy. On traitera ici de musique pure. Il ne s’agit pas de savoir comment et pourquoi Nobuo Uematsu a composé tel morceau comme ci, ou la musique de tel jeu comme ça. A vrai dire, ce n’est pas une information si importante que ça pour comprendre sa musique. On peut expliquer tel choix en se questionnant sur le contexte de composition, oui. Et si j’ai des anecdotes vérifiées à ce sujet, je vous les partagerai. Si ce sont des suppositions, je n’hésiterai pas à le signaler en essayant, autant que faire se peut, à argumenter. En réalité, on va faire le chemin inverse que je trouve plus intéressant : on va partir de ce que nous propose Uematsu, et tisser des liens, tricoter une analyse à partir de ce point. On ne va pas se demander pourquoi ou comment. On va observer, analyser, et comprendre. Certes, savoir si Uematsu a pensé sa musique, a intentionnellement mis tel élément à tel endroit ; est une information très intéressante. Mais j’ai la joie de vous assurer que le monsieur ne parle quasiment jamais, sauf dans de rares interviews localisées sur un seul morceau, de son processus créatif et de comment il pense la musique des jeux Final Fantasy dans leur ensemble. La plupart du temps, lorsqu’on lui pose la question, il esquive. J’en ai fait les frais en lui posant quelques questions, et je ne suis pas le seul.

L’approche choisie dans cet ouvrage sera celle de la narration. Nous le verrons, malgré leurs univers à la fois très différents et très similaires, les Final Fantasy sont avant tout des jeux qui racontent une histoire. Des histoires qui, si l’on s’en réfère à leurs éléments principaux, sont tirées d’une cosmogonie qui n’a rien à envier aux mythes fondateurs de notre civilisation. En somme, nous pouvons voir les Final Fantasy comme la réécriture d’un même mythe à travers différentes itérations, différentes propositions, différents jets, dont toutes les histoires sont extraites d’un même propos géniteur. Aussi, nous puiserons quelques éléments des théories du genre pour appuyer nos propos.

Si ce petit mot ne vous a pas découragé, on peut désormais s’attaquer à l’immense œuvre de notre moustachu préféré (après Mario).