Dans ma jeunesse, je me souviens d’un rituel que nous avions avec mes parents, ma sœur et moi. Chaque week-end, nous allions déjeuner le midi chez mes grands-parents. Systématiquement, le samedi, nous allions manger chez ma grand-mère paternelle, à Melun dans la Seine-et-Marne. Je me souviens des nombreuses fois où, à la sortie de l’école, mes parents venaient nous chercher, ma sœur et moi, afin d’aller déjeuner chez « mamie ». Ce rendez-vous familial a perduré jusqu’à l’adolescence et les dernières années de lycée, ce moment de la vie où l’on devient plus actif socialement et où l’on préfère passer nos samedi après-midi avec les copains, les copines, ou sur les jeux-vidéo. Si je vous raconte cette histoire, ce n’est pas pour le rendez-vous hebdomadaire du samedi chez « mamie Melun », mais pour ceux qui se passaient le dimanche, dans ma grande-famille maternelle. Nous n’allions pas chez mes grands-parents maternels tous les dimanche, mais nous y passions, il me semble, au moins un dimanche par mois. Le rituel était à son tour assez codifié. Une fois arrivé sur place, ma mère rejoignait le plus souvent ma grand-mère dans la cuisine afin de terminer les préparations du repas si nécessaire. Ma sœur, mon père, mon grand-père, ma tante, qui vivait chez eux ; et moi, nous nous installions à l’apéro. A cette époque de ma vie, je n’avais que 6 ans. Nous sommes en 1997. Ma tante, qui est de 15 ans plus jeune que ma mère, s’occupait de nous un peu comme une grande sœur. Une fois l’apéritif terminé, nous nous installions tous à table. Vous savez, cette table de repas familial. La table longue, avec les enfants d’un côté, et les adultes de l’autre. Dans la famille, nous sommes de bons vivants, et les repas étaient bien animés. Mon grand-père adorait faire le pitre tout au long du repas, ce qui ne manquait pas d’exaspérer ma grand-mère, plus terre à terre. Les repas étaient longs, surtout pour de jeunes bambins comme ma sœur et moi. Vous savez, ce genre de repas. Le repas qui débute à midi et qui termine au cinquième café, vers 17h. Ainsi, ma sœur, ma tante et moi quittions la tablée plus tôt, las d’être assis aussi longtemps sur une chaise à écouter des histoires d’adultes, ou à se faire interroger par surprise par le grand-père qui, de but en blanc, s’exclamait « Kevin : six fois neuf ?! ». A ce stade de l’après-midi, nous nous dirigions tous les trois dans la chambre de ma tante. A cette époque, ma tante devait être en fin de lycée ou en début d’études supérieures, si mes souvenirs sont bons. Elle possédait alors sa propre télévision et, bien entendu, sa propre console de jeux. Elle n’avait qu’une Playstation, sans que ce ne soit péjoratif. Nous nous retrouvions alors autour d’un Rayman, sur lequel ma tante nous apprenait des mots d’oiseaux tout au long de ses échecs. Plus tard, nous serons sur Crash Bash (2000) un party game de Naughty Dog, ou Crash Team Racing (1999). Mais là, nous sommes en 1997. Cette date n’est inconnue de personne, en tout cas, je l’espère, d’aucun qui a pris possession de ce livre. Un dimanche après-midi de la fin d’année 1997, pour des raisons que j’ignore, je me retrouve seul dans la chambre de ma tante. J’ai ce souvenir encré en moi tellement il m’a marqué. Ennuyé à l’idée de ne pas savoir quoi faire, je regarde sa ludothèque avec attention, prêt à choisir le prochain jeu sur lequel je passerai mon après-midi, au grand détriment de mes parents. Et c’est à cet instant que, ne sachant pas encore bien lire, je découvre une boîte de jeu qui, par sa nature, semble sortir de la régularité que peuvent laisser un alignement de jeux Playstation. Cette boîte est plus grosse que les autres, elle est plus large, et possède sur sa tranche un titre qui attire mon attention. « Final Fantasy VII ». C’est quoi ce « VII » ? Je sors la boîte de l’étagère et regarde sa jaquette. Blanche, le titre, un logo. Rien qui ne peut m’indiquer de quoi il s’agit. Je retourne alors la boîte et découvre des images colorées, et du texte que je ne sais encore lire. Rien pour m’indiquer concrètement ce dont il s’agit. Alors, j’ouvre la boîte, prêt à lancer le jeu dans un élan de curiosité de plus en plus prononcé. Une curiosité catalysée par ce qui semble être une énigme. Plus je creuse, moins j’en sais. Trois disques.

Trois. Disques.

A cette époque, je ne savais pas encore dans quoi j’allais me plonger. Je n’avais aucune idée d’où cette découverte allait me transporter. Lorsque j’ai lancé le jeu, je m’en souviens encore très bien, j’ai ce souvenir encré en moi tellement il m’a marqué, j’ai passé mon après-midi sur la console. J’avais 6 ans. Je n’ai pas entendu la cloche qu’avaient installé mes grands-parents sur le palier de l’étage pour nous appeler pour le dessert, ou tout simplement car il était l’heure de partir. J’ignorais tout. J’étais transporté. Je me suis fait gronder, à moultes reprises, car je commençais à ne plus être présent lors des déjeuners familiaux. Enfin, j’étais présent, mais à l’étage, dans la chambre de ma tante, à jouer à Final Fantasy VII. De quoi pousser mes parents à développer une appréhension sur les jeux vidéo. Vous savez, ce discours répété par les médias : « Les jeux vidéo aliènent nos enfants et les rendent dangereux, détruisent leur concentration et leur capacités cognitives ». Bon. Nous savons tous que c’est faux. Mais force est de constater que Final Fantasy VII a complètement parasité mon esprit. Il l’a investi, a pris sa possession de ma perception du monde et je ne jurais que par lui. Et pourtant, je n’étais pas très dégourdi sur le jeu. J’ai passé longtemps à battre le premier boss du jeu, le Garde Scorpion, menacé par sa queue dressée dont, ne savant pas bien lire, je ne comprenais pas le mécanisme. J’ai passé encore plus de temps à comprendre comment sortir à temps du Réacteur Mako : il faut aider Jessie qui a la jambe coincée. Je n’avais que 6 ans et je ne savais pas encore bien lire. Cependant, toutes ces difficultés habituellement rebutantes ne m’ont pas dissuadées de continuer à jouer. Au contraire. Je me souviens un peu plus tard être hanté la nuit par la musique de la ferme des Chocobos qui tournait en boucle dans ma tête, m’empêchant de m’endormir. A avoir des frissons de terreur lors du passage de l’évasion de Jénova dans le bâtiment Shinra, ou dans la grotte des Gi, avec son boss à l’animation infernale. J’étais littéralement hanté par Trail of Blood. Mais plus que tout, je me souviens du gameplay et des matérias, des cinématiques révolutionnaires, du rythme, de l’action, des combats. Et encore plus loin, encore plus que tout ; je me souviens de la musique. Quelle musique… Je n’avais pas encore terminé Final Fantasy VII que j’en voulais encore plus. En 1999, j’ai poussé mon père à aller me chercher Final Fantasy VIII. J’ai ce souvenir encré en moi tellement il m’a marqué. C’était dans un Auchan.

J’ai emprunté pour une durée indéterminée Final Fantasy VII à ma tante pour le continuer chez moi. Ce jeu, je ne lui ai encore jamais rendu. Cette boîte, la boîte particulière dont je parle ici, est encore entreposée chez moi, telle un trophée, sur mes étagères. Ce jeu, c’est la clef. La clef de qui je suis aujourd’hui. La clef qui m’a poussé à faire de longues études, qui m’a donné goût à la musique. La clef de mon être.

Merci tata pour avoir acheté ce jeu, et encore désolé, je te le rendrai peut-être un jour. Je ne peux m’empêcher de lâcher une petite larme à l’écriture de cette préface. Regardez où ça m’a mené, merci pour tout. Ce souvenir, je le garderai à jamais en moi.