Tout commence lorsque je vois sur le site de la Philharmonie de Paris qu’une rencontre publique avec Nobuo Uematsu sera organisée pour le 17 Juin 2017, rencontre suivie d’un concert avec le LSO, le London Symphonic Orchestra (celui même qui enregistre 90% des musiques de film actuelle dont Harry Potter, Star Wars…). Je saute sur l’occasion et je me prend un billet. La « rencontre publique », c’est une interview donnée en publique, suivie de questions à main levée. C’est l’occasion en or de lui poser une question pour m’aider dans ma thèse ! Depuis des mois j’ai préparé ma question, préparé ma venue à la Philharmonie, afin de ne rien rater.

Samedi 17 juin 2017, 12h environ : J’appelle la Philharmonie. Je tombe sur un monsieur très sympas à qui j’explique ma situation (Thésard, veut absolument pouvoir lui poser une question). Il me dit de me présenter à 18h à la production pour en discuter, à l’accueil même de la salle de concert.

Samedi 17 juin 2017, 18h : Je me présente devant les portes de la salle. Accès refusé par la sécurité qui ne veut rien savoir… En revanche il me conseille de passer par « l’entrée des artistes ».

Samedi 17 juin 2017, 18h15: Je me présente à l’accueil de l’entrée des artistes. J’explique ma situation à l’agent. Il appelle une dame de la prod à qui il demande de venir. Elle préfère m’avoir au téléphone. Je discute avec elle pendant 15 minutes pour qu’elle me dise « je ne sais pas comment ça va se passer, il faut se manifester dans la salle ».

Samedi 17 Juin 2017, 18h35 : Les portes de la salle sont ouvertes depuis 5 minutes et le staff nous fait patienter dans une antichambre. Tout d’un coup, une dame du staff arrive pour nous expliquer comment ça va se passer. Après son speech, je l’interrompt pour lui demander si elle fera partie des gens qui passerons le micro pour les questions. Elle se présente comme étant la chef d’équipe. Elle attrape 2/3 membres de son équipe pour leur dire « lui il fait sa thèse dessus, si vous le voyez, donnez lui le micro ».

Samedi 17 Juin 2017, 19h10 : Mon ami et moi sommes collés aux barrières d’accès à la salle. Le staff ouvre, on pénètre dans la salle et je cours m’installer tout devant : c’est un placement libre uniquement pour l’interview. On était près. TRÈS PRÈS.

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Voici une retranscription de l’interview effectuée par Ginette Decuyper (GD), première violoniste au London Symphonic Orchestra (LSO). Eckehard Stier (ES), le chef d’orchestre était présent. La traduction Fr/En a été effectuée par Clothilde Moineau tandis que la traduction Fr/Jp a été effectuée par Satoko Fujimoto.

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GD (à Nobuo Uematsu) : Uematsu-san, on ne vous présente plus vous avez projeté au devant de la scène un genre inattendu, celui de la musique de jeu vidéo. Vous avez selon le journal anglais The Guardian, bouleversé le monde de la musique classique quand vous avez 5 années consécutives classé un de vos titres dans les 20 premiers titres de la musique classique. La musique de jeu vidéo, c’est ce que vous vouliez faire, au départ ?

NU : J’ai commencé à composer la musique de jeu vidéo il y a une trentaine d’années. A l’époque, j’aurais bien aimé composer pour d’autres types de musiques, écrire des tubes. Mais le milieu de la musique n’était pas aussi généreux que le proposait ce type de travail pour le jeune compositeur totalement inconnu que j’étais. La musique pour le jeu vidéo est le seul domaine qui s’est ouvert à moi, car le jeu vidéo n’était pas encore une grosse industrie comme aujourd’hui. Il y avait donc une place disponible pour moi.

GD : Quand vous avez été engagé par Square, vous avez commencé à travailler avec Sakaguchi-san très vite et vous avez collaboré avec lui jusqu’à ce jour. Votre collaboration, on l’a comparé à celle de John Williams et Steven Spielberg. Comment se passe cette longue relation, comment décrivez vous cette longue relation ?

NU : C’est pas très respectueux envers John Williams et Steven Spielberg (rires de la salle). En ce qui concerne notre collaboration avec Sakaguchi, ça fait une trentaine d’années qu’on travaille ensemble, donc on a déjà une confiance assez stable. On ne se donne pas de consignes à respecter l’un ou l’autre. Lui il me donne un scénario et me dit « Fait de la musique pour ça », et je compose avec une carte blanche.

GD : Avez vous été surpris par le succès du premier Final Fantasy ?

NU : J’ai pris conscience du succès de Final Fantasy au moment de Final Fantasy III. Avant, je ne m’intéressait absolument pas à la vente de jeu parce que j’étais tellement dans l’optique de composer en gagnant ma vie comme ça. Donc je composais et je composais tous les jours. Donc oui c’était seulement au moment de Final Fantasy III que j’ai réellement pris conscience de l’ampleur du succès.

GD : Composer pour un orchestre symphonique, cela a t-il causé des changements dans votre façon de composer par rapport à ce que vous faisiez au départ ?

NU : Hmmm. Je pense oui que ça influencé ma façon de composer. Tout au début quand j’ai commencé à composer de la musique de jeu vidéo c’était pour la NES et à l’époque je n’avais le droit de n’utiliser que trois sons. Je suis ensuite passé à la Super NES, et là j’avais le droit à huit sons. Ensuite, la PlayStation. Et là on pouvait vraiment travailler avec une pièce pour orchestre. Mais comme les étapes se sont faites naturellement, pour moi cette évolution s’est faite de façon assez fluide.

GD (à Eckehard Stier) : Vous avez dirigé les plus grands orchestres du monde. Le London Symphonic Orchestra (LSO), le Philharmonique de Londres, le Philharmonique de Tokyo, Vienne et j’en passe. Vous êtes de Vienne, vous avez été titulaire du Oakland Symphonic Orchestra pendant 6 ans, et vous êtes un chef d’orchestre établit dans le domaine de l’Opéra, dans la musique contemporaine. Vous avez établit avec le LSO une relation depuis 4 ans. Comment décrivez vous votre travail avec le LSO ?

ES : J’ai beaucoup de plaisir à travailler avec le LSO qui est l’un des meilleurs orchestres au monde. Quand je les ai rencontré j’ai vraiment été épaté par la façon dont ils travaillent autant d’un point de vu professionnel que d’un point de vu humain. Les préparations de concert sont très courtes. En général une répétition, puis peut-être une répétition général et après il faut jouer. Donc le niveau de stresse est assez élevé. Mais le mien, en raison de la qualité musicale et de la qualité humaine des musiciens, se tempère naturellement car c’est un plaisir de jouer avec cet orchestre.

GD : Comment faites-vous quand vous devez faire face à un groupe de musiciens qui ne sont pas nécessairement des gamers ?

ES : En fait c’est très simple, les œuvres que nous jouons sont fantastiques, l’orchestration est absolument parfaite et les musiciens, même si ils ne sont pas des amateurs de jeu vidéo sont très pro et ils adorent jouer pour ces concerts. Lorsque nous étions à Abbey Road nous avons mis 3 jours pour enregistrer la Symphonie n°1 et le plaisir, l’excitation de tout l’orchestre est palpable.

GD libère ES pour préparer le concert.

GD : Uematsu-san. Comment était-ce de travailler à Squaresoft,  Square Enix et pourquoi avez vous décidé de devenir freelance en 2004 ?

NU : Aaah. Tout simplement ils ont déménagé les locaux, donc ça faisait trop loin pour moi. (rires de la salle). Ils sont partis à Shinjuku. Le quartier de Shinjuku est un des plus bouchés. Avant je ne mettais qu’une demie-heure pour aller au travail, et depuis le déménagement je mets une heure et demi aller simple, donc au total 3 heures. J’ai commencé à me demander ce que je faisais là. Et je me suis dit qu’au final je pourrai très bien rester chez moi.

GD : Une question que beaucoup de nos auditeurs se posent, comment se passe la composition musicale d’un nouveau jeu. Entre le créateur et vous même, le compositeur, à partir de quand qui a influence sur qui ?

NU : Ça dépend du jeu vidéo. Quelque fois le producteur me donne des consignes assez détaillées. Par contre avec Sakaguchi c’est très simple. Il me donne un scénario et il me dit « Occupe-toi de ça d’ici telle date » et c’est tout. Moi je préfère qu’on ne me dise rien, car comme ça je suis totalement libre de faire mes expériences.

GD : Si vous deviez choisir votre composition de jeu préféré laquelle choisiriez-vous ?

NU : Une question très difficile. J’hésite. Je dirais To Zanarkand de Final Fantasy X.

GD : Je voudrais savoir. Quel genre de musique aimez vous écouter ?

NU : J’écoute toute sorte de musique. Du Rock, Jazz, Classique, Musique ethnique… Si on me demande dans quel domaine je me sens plus à l’aise entre écouter et composer, je dirais que je suis plus fort pour écouter. Certains musiciens de Rock n’aiment pas le classique, d’autre de Jazz n’aimeront pas d’autres musiques… Pour moi ces gens là ne savent pas apprécier, écouter les différents types de musiques. C’est comme si on allait dans un restaurant de sushi et qu’on commandait un plat Français. Chaque genre musical doit être écouté et apprécié de sa propre façon. Je vous conseille d’ailleurs d’apprendre les façon d’apprécier différents types de musiques. Votre vie musicale sera d’autant plus enrichie.

GD : Vous aimez visiblement le contact. Est-ce la raison pour laquelle vous avez créé vos deux rock band, les Black Mages et Earthbounds Papas ?

NU : Oui, effectivement j’adore le contact avec le public. Mais si j’ai créé des groupes de rock c’est parce que j’adore le rock.

Questions du public :

Là ça devient marrant. En première partie je vous ai présenté mon cheminement pour la journée et les efforts que j’ai entrepris pour avoir la parole. Pendant un peu moins d’une petite minute, après que Ginette Decuyper ait dit qu’on passait aux questions du public, j’avais la main levée. Mais personne n’avait la parole. Uematsu a commencé à se demander comment ils allaient faire pour sélectionner les questions. Decuyper lui a dit « Vous n’avez qu’à sélectionner vous même ». Il rigole, et tends sa main vers moi, juste en face de lui… En fait, je n’ai même pas eu besoin de l’aide du staff, le maître m’a sélectionné lui-même.

Q1 : Bonjour et merci de me donner la parole. Je suis étudiant en musicologie et je fais ma thèse de doctorat sur vos œuvres. J’ai beaucoup de questions à vous poser, mais si j’en ai une seule à poser ce serait celle-ci : lorsque vous composez, est-ce que vous prenez les idées de votre inspiration comme elles viennent et vous faites ce que pouvez avec, ou bien est-ce que vous prenez le temps de théoriser vos musiques pour permettre de créer un univers musical, que les thèmes se répondent entre eux, qu’ils puissent se superposer et ainsi guider le discours musical avec le scénario du jeu ?

NU : Oooooh. (rires de la salle). Je n’ai pas vraiment de formation musicale. Je suis un compositeur autodidacte. Quand je compose, je compose comme si je raconte une histoire, ou que j’écris un livre. Je n’ai pas de langage musical complexe, je raconte avec mon champ lexical. En conséquence la musique que je compose devient très simple. Qu’il y a t-il de mal à être simple ? Je pense par exemple aux textes légers et faciles d’accès comme les essais. Dans le monde il y a beaucoup de textes artistiques compliqués. Tout le monde ne cherche pas cela, et à un moment on a envie de lire un texte plus léger. Ma musique peut être comparée à ce type d’écriture.

Q2 : Est-ce que vous êtes nostalgique de la période Famicom et de Final Fantasy III, avec énormément de contraintes ou êtes vous content de vous en être débarrassé ? Est-ce que vous pensez que ces contraintes ont pu freiner votre création ?

NU : Les deux périodes me plaisent. Et si on me demande aujourd’hui de composer avec la technologie de l’époque NES, j’aimerai bien composer quelque chose avec ma maturité d’aujourd’hui. A l’époque de la NES j’étais donc limité à 3 sons, mais aujourd’hui on peut mettre autant d’échantillons que l’on veut. Ça peut me donner envie d’essayer.

Q3 : Ma question concerne les musiques de combats. Car pour moi, Final Fantasy c’est avant tout ce sont des musiques de combat. Comment vous faites pour arriver à composer des musiques de combats qui n’arriveront pas à ennuyer le joueur, étant donné que ce sont les musiques que le joueur entendra le plus dans le jeu ?

NU : La musique des scènes de bataille c’est pour moi le moment où je veux expérimenter beaucoup de choses. Des rythmiques impaires, des variations. Par exemple la musique de Final Fantasy VII est un champ expérimentations.

Q4 : Vous est-il arrivé, que vous en tant que joueur de jeu vidéo, de vous arrêter juste dans l’esprit d’en apprécier la musique ?

NU : J’évite les jeux vidéos dont la musique risque de me plaire (rires de la salle). J’ai peur d’être influencé. Pour la même raison, je ne regarde jamais de Ghibli. C’est sur que la musique est belle. Mais c’est pour cette raison que je ne les regarde pas.

Q5 : Quel est le premier compositeur classique que vous avez découvert, à quel âge, et est-ce qu’il influence encore aujourd’hui ?

NU : Hmm. Ma grande sœur joue du piano. Et donc du coup j’entendais souvent Bach. (il chantonne une mélodie, et GD lui précise que c’est «Le concerto en Mi majeur de Bach») Les pièces de musique classique ont toujours un nom imprononçable. (rires de la salle).

Q6 : Quel est pour vous le meilleur jeu vidéo de tous les temps ?

NU : Super Mario, c’est vraiment très bon et très bien fait (il chantonne la musique de Super Mario). On devrait en faire l’hymne nationale du Japon.

A la fin. Uematsu se lève et une horde de fans affamés se rue sur lui. Moi, je me dirige vers Satoko Fujimoto et je l’interpelle :
– Excusez moi, cela vous dérangerait-il de donner ce document à Mr Uematsu ? C’est un document de 4 pages qui explique ma thèse avec des exemples. Il y a aussi quelques questions supplémentaires ainsi que mon mail pour me répondre.
– Pas de problème, je lui donne ça dans la loge une fois que nous serons sorti de scène.

Je l’ai remerciée mille fois.
C’est un sans faute pour moi. J’ai posé ma question et j’ai donné mon document. Maintenant, il ne me reste plus qu’à prier qu’il réponde.

3 commentaires sur « Rencontre avec Nobuo Uematsu à la Philharmonie de Paris. »

  1. Bonjour
    J’étais présent aux deux concerts à la philharmonie de Paris ce we ainsi qu’à la séquence de questions/réponses avant celui de samedi. J’ai entendu votre question et le fait que vous faisiez une thèse sur l’oeuvre de notre ami moustachu, et je suis parti sur le net en quête d’infos. Je suis tombé sur votre site que j’ai parcourru et qui est très intéressant. Merci également pour le travail de retranscription de l’interview de samedi!
    J’ai lu dans un article que vous aviez déjà rédigé deux mémoires sur FFVII et FFVIII, je suis un total profane en théorie musicale, mais ces documents m’intéresseraient beaucoup! Serait-il possible d’en avoir une version informatique par mail? en attendant de lire la thèse à sa publication!
    Par avance merci
    ps: bon courage pour la thèse

    Aimé par 1 personne

    1. Tout d’abord, merci pour votre commentaire.
      Malheureusement, comme je l’ai précisé dans un autre article, j’ai l’intention de publier ma thèse. Je préfère attendre la fin de ma thèse pour éviter tout exploitation de mon travail. Les quelques articles parlant de musique sont tirés de mes mémoires et des recherches actuelle, je ne peux pas faire mieux afin de protéger mon travail. Pour en savoir plus, et pour en lire plus, il faudra s’armer de patience !
      N’hésitez pas à consulter ce blog régulièrement, j’y posterai peut-être d’autres articles musicaux au compte goûte dans le futur.

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      1. Pas de soucis merci pour l’info.
        J’attendrai donc impatiemment la publication de la thèse!
        Bon courage pour la rédaction de la part de quelqu’un qui y est aussi passé 😆

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