L’ouverture de Final Fantasy VII expose de façon affirmée ce qui pourrait être le motif de tous les Final Fantasy. Une théorie que je souhaite soutenir est qu’il existe, dans les partitions de Nobuo Uematsu une « signature » comme l’a pu faire Jean-Sebastien Bach avec son célèbre « B-A-C-H », ci-dessous.

bwv667bachmotif

Figure 1.

Cette idée m’est venue lorsque j’ai commencé à entendre, dans plusieurs morceaux appartenant à différents jeux de la série Final Fantasy, un mouvement mélodique récurrent.  Un des seuls problèmes est que ce « mouvement » n’est pas figé en intervalle comme peut l’être le motif de Bach. En ayant pris connaissance de la notion de codon exposée par Bruno Lussato dans  Voyage au coeur du Ring, m’est alors venu à l’idée que ce mouvement pouvait, comme un codon ou mieux, un leitmotiv, être flexible et malléable.
Je me suis alors mis à la recherche de ce mouvement dans tous les morceaux de Nobuo Uematsu, et Opening – Bombing Mission n’est pas en reste.

Le motif que j’appellerai jusqu’à changement la « Signature » est exposé quatre fois dans cet Opening, de quatre manières différentes. Il va falloir faire un peu de chimie.

La première occurence se manifeste dès le début du morceau, sur la stase aux violons faisant résonner un Mi doublé à l’octave. On voit clairement apparaître figure 2 ce qui semble être, pour le moment, une pâle copie du motif de Bach. Les intervalles du mouvement ayant en effet, beaucoup de similitudes.

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Figure 2.

Le motif qui apparaît est associé à Séphiroth dans Birth Of A God, par exemple. Ce motif se retrouve de façon très similaire dans beaucoup d’autres morceaux du jeu comme Mako Reactor ou Anxious Heart qui sont les morceaux suivants sur l’OST du jeu (figure 3).

motifs

Figure 3.

On obtient alors un mouvement de vague : Descendant, Ascendant, Descendant. Cela n’est pas sans rappeler l’idée de neume grégorien, où les intervalles entre les différentes notes n’avaient pas d’importance majeure comme en musicologie moderne. Seul le motif mélodique, le contour, le formant pour utiliser un mot technique moderne, avait alors une importance.

La seconde occurrence permet d’obtenir une version plus travaillée de la « Signature » d’Uematsu, tout en gardant le même mouvement de vague. Pour mettre en avant cet exemple, nous auront besoin de filtrer la phrase de quelques notes. Voici la phrase telle qu’exposée dans l’Opening :

motif-c

Figure 4.

Sur la première portée, j’ai indiqué la phrase telle qu’écrite par Uematsu. En dessous, j’ai supprimé l’appogiature pour faire apparaître la signature. Est à noter l’intention conclusive donnée à la troisième mesure, avec son rythme long-court-long, important pour la suite. Il est aussi possible de basculer à l’octave supérieure la note finale pour créer cet effet de cône où les intervalles sont de plus en plus grands (figure 5a).Cet exemple est transposé dans 3 tonalités. La partition ci-dessus figure 4 est en Mi, et par la suite il est écrit en Do# et en La mineur (figure 5b).

transpo

Figure 5a.

phrase-entiere

Figure 5b

On observe que le pattern est tout à fait le même malgré les transposition, à l’exception de la note conclusive sur l’accord de Do# qui est issu d’une tierce et non d’une quarte. Ce que je tiens à souligner ici, ce qui est purement anecdotique, est la présence d’un leitmotiv qui semble, consciemment ou non, emprunté à Wagner, celui du Crépuscule des Dieux (M63 Voyage au coeur du Ring) en figure 6. La coïncidence veut que cet emprunt marque la fin de la première partie de l’Opening, qui est, précisons le, découpé en plusieurs parties. D’après Bruno Lussato, le leitmotiv du Crépuscule des Dieux chez Wagner fait référence au motif du Rhin : « Renversé, le motif du Rhin (M3), symbolisant vie et croissance, devient le « Crépuscule », motif du déclin et de la mort. […] Chute non contrôlée, danger latent, menace souterraine, dépression, dépérissement, inconscient » (Voyage au coeur du Ring, Fayard, p.499).  La seconde partie de l’Opening est joué en triolet de croche dans un tempo beaucoup plus rapide que l’introduction, simulant alors l’apparition d’un danger. Rappelons que chez Lussato, le Crépuscule des Dieux symbolise le « Danger Latent ». De plus, l’introduction se passe à Midgar, ville sur deux étages, le niveau inferieur faisant alors référence à un « Souterrain » (puisqu’on n’y voit pas le ciel) d’où viendrait la « menace ». Étonnant. La présence de la Rivière de la Vie à Midgar peut aussi faire penser au Rhin, car elle créé la vie comme l’explique Bugen Hagen à Cosmo Canyon. Tout est lié.
crepuscule-desdieux

Figure 6

Pour la troisième occurrence, il faut creuser un peu plus la partition pour déceler le motif. Voici tel qu’il est exposé dans le texte d’origine :

trope

Figure 7

Comme pour l’appogiature de la seconde exposition de la signature (figure 4), il faut enlever la trope qui n’est présente qu’à titre esthétique. Ce filtre nous permet de clairement faire apparaître le motif descendant : seconde majeure et ascendant : quarte et quinte. On retrouve l’idée d’amplification des intervalles du motif présenté comme non fini (question) vers une conclusion (réponse). Cela rejoint le motif de Cloud qui est lui aussi annoncé non fini pour s’affirmer ensuite. Pour la quatrième occurrence, on applique le même filtre (figure 8) et on obtient une signature plus développée car conclusive avec la tierce en guise de point final.

4

Figure 8

4 commentaires sur « FFVII : Opening – Bombing Mission. Débroussaillage des motifs et structure. »

  1. Super article !
    Petite coquille après la Figure 2. « est associé » est répété : « Le motif qui apparaît est associé est associé à Séphiroth »

    La signature que l’on pourrait retrouver dans tous les Final Fantasy est-elle cette suite de quatre notre plus ou moins agrémenté ou celle-ci est-elle propre à FFVII. Dans ce second cas, la signature serait-elle une suite de notes propre à chaque jeu ?

    Merci.

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    1. Merci pour la coquille, je corrige ça ! 🙂
      Ce que j’appelle la « signature » n’est pas une suite de note stricte et figée. C’est un mouvement, une enveloppe mélodique, que l’on retrouve dans énormément de morceaux et qui ne semble pas avoir de rôle narratif prédéfini. La signature est reprise dans la mélodie principale du thème des sorcières de Final Fantasy VIII : https://www.youtube.com/watch?v=jAw0bObNKr4. C’est, dès les premières note, le mouvement de 3 notes « Mi – Ré# – Si » (pour la première occurrence). On retrouve ce mouvement « Note 1, Note 2 (un demi-ton, un ton ou une tierce mineure plus bas), Note 3 (une quinte, une sixte, une septième au dessus de la note 2) très très souvent. On l’a par exemple dans le thème de Seymour : https://www.youtube.com/watch?v=2ATaFxHxNtI, avec un ambitus plus grand (ici, une octave, alors que dans l’exemple de FFVIII c’est une sixte mineure). Alors attention, j’utilise ici des exemples tirés des thèmes des « méchants » mais ce n’est ni systématique, ni caractéristique. Le motif de la « signature » est aussi présent dans des musiques de ville (https://youtu.be/ehuBu–N4Ak?t=33 ici dans FF IV avec « Mi – Do# – Sol » à la mélodique principale), des thèmes de personnages, etc… Tic de composition, réelle « signature », mouvement mélodique fortuit, on ne sait pas et ne saura réellement jamais. Mais j’ai tout de même constaté que ce mouvement revient trop souvent pour que ce soit, selon moi, un hasard.

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  2. J’ai découvert la profondeur de l’œuvre de Nobuo Uematsu en jouant à FF9. Là, je joue à FF4, que j’adore. Mais ce n’est que récemment, grâce à Super Smash Bros. que j’ai découvert « Bombing Mission ». Je me demande comment j’ai pu vivre toutes ces années sans ce morceau. Pour ma part, le passage du prélude, très calme, à « Bombing Mission », plus violent, me rappelle beaucoup le début du Sacre du Printemps de Stravinsky, avec une phase de dégel, qui précède la violence du rituel. En tout cas, Nobuo Uematsu connait l’œuvre de Stravinsky, il la cite dans une interview.

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